Dans la peau de Laura Elena Harring se trouve Naomi Watts, 33 ans, plus connue pour son rôle de chercheuse dans la série «Sleepwalkers» que pour ses prestations ciné. Virage inespéré: "Mulholland Drive". Merci qui?
INTERVIEW CHRISTOPHE CARRIÈRE
PREMIÈRE / Qu'avez-vous compris de Mulholland Drive?
NAOMI WATTS / C'est l'histoire d'un vol d'identité par une jeune femme [Laura Elena Harring] prise dans une sorte de psychose. Elle a eu beaucoup de problèmes dans sa vie et, arrivée au plus bas de son moral, elle rencontre le personnage que je joue: une actrice pleine de promesses. La malheureuse s'investit tant dans cette relation que les identités switchent. Mais quand l'actrice cesse d'être disponible et gentille, le monde de l'autre s'écroule et elle se retrouve dans une situation pire qu'avant, car elle a goûté à la joie qu'elle ne connaissait pas et connaîtra plus. Cette interprétation n'engage évidemment que moi. Pourquoi vouloir tout savoir lorsqu'on regarde un film? Dans la vie, il y a un paquet de choses auxquelles on est incapable de répondre chaque jour. Chez David, c'est pareil: à vous de réfléchir, puis de prendre une décision. C'est toute la magie de son travail: le public est enfin libre de penser par lui-même.
Qui êtes-vous vraiment?
Une Anglo-Australienne pas spécialement fière de son premier film ["Flirting',' de John Duigan, avec Nicole Kidman, 91]. J'ai fait pas mal d'autres choses, dont Tank Girl [Rachel Talalay, 95]. Mais celui-là, comme les autres, n'a pas marché au box-office.
Le premier film de Lynch que vous avez vu?
Le premier film de David que j'ai vu, c'est ElephantMan. Et puis Blue Velvet, Sailor et Lula... Lost Highway, je l'ai vu plus tard, dans un avion. Ce n'était pas la meilleure façon de le découvrir, c'est sûr...
La première fois que vous avez rencontré Lynch?
Je ne suis pas près d'oublier! D'habitude, quand vous passez des essais aux États-Unis, il n'y a aucun échange: «Bonjour, la caméra est là, merci, au revoir...» Pour Mulholland Drive, ça a été très différent. D'abord, on me dit au téléphone qu'il n'y a que quatre filles à passer ces essais, qu'il faut que je vienne comme je suis, le plus naturelle possible, et qu'il n'y a pas de script disponible. J'arrive donc chez David fil ne sort presque jamais de chez lui où il donne tous ses rendez-vous] en jean-T. shirt-pas-maquillée sans savoir de quoi le film parle! David est en train de fumer une cigarette et me pose des questions: d'où je viens, ma famille, la mort de mon père [Peter Watts, ingénieur du son des Pink Floyd], mon retour en Australie, la pension... Alors que j'étais censée être là pour me vendre et lui pour m'acheter, on discutait comme de vieux amis! À tel point que quand il m'a enlacée pour me dire au revoir, je me moquais d'avoir le rôle ou pas: j'avais rencontré un type fabuleux. J'en avais les larmes aux yeux! Puis on m'a rappelée: je devais refaire d'autres «essais», mais en m'arrangeant un peu plus: coiffeur, maquilleur, etc. David s'est presque excusé: «Vous savez ce que c'est, ces gens de la télé...» [au départ, «Mulholland Drive» était le pilote d'une série]. Ils voulaient voir ce que je rendais à l'image. David était agacé, mais s'est plié à l'exigence, même s'il m'avait déjà choisie. Comme quoi, la «gloire» dépend plus d'un rendez-vous que d'un bon essai.
Le plus difficile pendant le tournage?
Sans aucun doute la scène où je me masturbe. C'est quelque chose de très personnel, la masturbation. Faire ça devant son mec est déjà assez gênant, alors imaginez devant toute l'équipe d'un film! Le matin du tournage, j'avais un mal de ventre terrible. C'était nerveux. Pourtant, David était d'une grande patience. Il ne m'imposait aucune volonté. Au début, ce que je faisais ne lui convenait pas: il trouvait que c'était dérangeant, pas érotique. Je n'arrêtais pas de pleurer, de fermer les yeux. J'étais humiliée. Voyant qu'il n'arriverait pas à avoir ce qu'il désirait de cette manière, David a improvisé une petite tente dans laquelle je ne voyais que l'objectif de la caméra. Et après avoir réussi la scène, je ne voulais qu'une chose: réitérer l'expérience!
Dans la peau de qui vous verriez-vous?
Jodie Foster, Julianne Moore, Cate Blanchett, Nicole Kidman... Dans la peau de quelqu'un de fort, qui a confiance en soi, qui n'est pas anxieux. En résumé, avoir un peu plus de bons films sous le coude afin d'avoir des propositions de plus en plus intéressantes.
Naomi Watts est à l'affiche de "Mulholland Drive",' de David Lynch. avec aussi Laura Elena Harring. Sortie le 21 novembre.
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